Eva Colpacci a été notre regard extérieur pendant ces 2 années de création de “J’t’ai pas dit”, la dernière pièce de la compagnie actuellement en cours de diffusion au Théâtre la Croisée des chemins.

On lui a posé quelques questions…

Eva, tu as endossé le rôle de regard extérieur dans l’équipe artistique de J’t’ai pas dit, tu peux nous dire ce que c’est un regard extérieur, on voit souvent ça écrit sur les feuilles de salle et en vérité on a un peu de mal à se figurer ce qu’est ce fameux regard ?
Parfois, quand on crée, on a le nez sur ce qu’on fait. Or à moins d’être vraiment très myope, généralement on lit mieux les choses à partir d’une distance minium. C’est là qu’intervient le regard extérieur. Ce regard, c’est celui ou celle qui se placera juste un peu plus loin, pour observer une étape de travail.
Et puis il s’agit de trouver un axe pour voir les choses d’un autre point de vue. Lorsqu’on vit le projet de l’intérieur, avec ses ressentis de chorégraphe, d’interprète, c’est parfois difficile de se détacher de tout le processus créatif et de ses défis pour juste observer un produit fini. Ainsi le regard extérieur est là pour donner son avis, indépendamment des difficultés des répétitions.
Avoir des suggestion nouvelles, fraiches, permet de redécouvrir des scènes et aide à les peaufiner.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de t’intéresser de près à cette création ?

La parole et l’incapacité de parler sont des sujets qui me sont très chers et que j’aborde moi-même dans mes créations. De plus je connais la couleur de la danse d’Elsa, qui frôle toujours avec beaucoup de délicatesse le théâtre, et qui touche à des cordes sensibles qui vibrent chez moi. Le projet, même à son étape première, a fait très vite fait écho.  

Tu nous raconterais un moment particulier qui t’aurais marqué à travers cette longue période de création ?

C’était à la co-galerie. J’étais venue rejoindre Ondine Policand, metteuse en scène et Elsa Lyczko lors d’une répétition peu de temps avant la première. J’ai reconnu le premier tableau que j’avais déjà eu le plaisir de découvrir lors d’une précédente répétition et qui depuis avait bien évolué! Et puis, la chanson d’Anne Sylvestre a retenti. J’aime les gens qui doute… Avec grâce, Elsa s’est dévêtue, et a frôlé la chaise sur laquelle j’étais assise, pour aller vers un nouveau tableau de l’autre côté de la salle. Je me souviens des larmes qui me sont montées aux yeux. Et puis quand le son s’est arrêté, Ondine et Elsa se sont tournées vers moi pour mes retours. J’avais pris plein de notes, mais l’émotion a bloqué ma voix. J’avais perdu les mots. Et c’est ça aussi, le sujet de la pièce. Quand l’émotion nous coupe la parole ! Je me suis sentie privilégiée de ce moment très intime et très beau.

Et moi, pourquoi j’irais voir cette pièce ?

Parce qu’on a tous et toutes des choses qu’on a pas dites. On aurait voulu les crier, mais elles ne sont pas venues.
Parce qu’on a tous et toutes un peu le trac de parler en public. On serait prêt.e a beaucoup pour que l’attention soit un peu détournée…
Parce que J’t’ai pas dit, ça raconte l’humain. ça nous raconte. ça se moque un peu, aussi mais toujours avec tendresse !
Parce qu’on passe des rires aux larmes, face à cette femme qui joue le miroir de notre rapport au mot, notre rapport au dire.
Parce que tu as envie de savoir si elle va finir par te le dire ce fichu discours !
Parce que c’est une pièce, pleine de poésie, parce que c’est absurde mais beau comme la vie. 

Un portrait chinois pour finir de me convaincre :

si JPD était un son ? Ce serait le murmure d’une petit comptine.

si JPD était un mot ? Ce serait un cri !

si JPD était un tableau ? Le cri de Munch, 1893 ou The reader de Gerhard Richter, 1994

si JPD était un paysage ? Il serait un paysage de montagne avec tout plein de touristes très localisé.e.s à un point de vue ! ?